C’est Ce que j’ai connu, c’est comme ça que j’ai été “éduquée” : j’ai toujours ressenti une grande insécurité et je ne me suis jamais sentie protégée. Je ne comptais pas. On m’a toujours laissée me débrouiller. Finalement, c’est mon cerveau qui s’est laissé embrouiller, et ce sont ensuite les embrouilles qui n’ont pas voulu me laisser. Aujourd’hui, je ne me sens pas en sécurité dans les interactions sociales, aussi je ne souhaite pas reproduire sur mes propres enfants, l’éducation que j’ai reçue.
C’est Ce que j’ai observé, culturellement, tout comme je l’ai vécu lors de mon enfance, lorsque des enfants sont en conflit, il est courant que les adultes autour d’eux les séparent. Souvent par la suite, l’enfant “blessant” est privé de quelque chose qu’il aime/souhaite/attend/dont il a besoin ; il peut aussi être isolé – de l’autre enfant, ou même de toute autre présence. L’enfant blessé quant à lui, est incité à se défendre lui-même… Cela pose un problème majeur, en dehors du potentiel traumatique véhiculé par les brimades infligées à l’enfant “blessant” : tout simplement, comment être sûr de “qui a commencé” ? comment définir la “culpabilité” d’un enfant, et comment être certaine/certain de ne pas commettre une erreur de jugement ?
Ce genre de réaction de la part des adultes est clairement contre-productif, voire délétère pour les enfants. Pourtant, les deux -le “blessant” comme le “blessé”- expriment des besoins, des émotions et de la souffrance : il n’y a jamais une seule victime dans un conflit… voici réellement Ce qui se produit -métaphoriquement :
Quand un pousse, les deux tombent.
Protéger : la responsabilité des adultes
Chez de nombreuses familles, mais surtout dans beaucoup de collectivités, il y a encore aujourd’hui une tendance à peu accompagner l’enfant – voire, pas du tout – et à peu le protéger.
Tout d’abord, soulignons qu’il s’agit d’une problématique que l’on retrouve souvent du fait qu’il n’y ait bien souvent qu’un seul adulte pour plusieurs enfants : soit parce que c’est un parent solo, soit parce qu’il s’agit d’une collectivité, où c’est alors logistiquement impossible d’accompagner chaque enfant, et de protéger chaque blessé. De ce fait, la stratégie qui va communément être employée va être d’inciter l’enfant à se défendre lui-même. D’ailleurs bien souvent, les parents eux-mêmes disent à leurs enfants « défends-toi, comme ci ou comme ça ». Or, précisément, les enfants n’ont pas les outils pour se défendre par eux-mêmes.
Conséquences sur l’enfant : dans quelle situation se trouve-t-il ainsi placé ? Quels sont les dangers, les risques ?
Un enfant en proie à ses émotions ne sait pas, ne peut pas, psychiquement parlant, gérer un conflit naturellement. Il peut trouver des ressources, mais à condition qu’il ne traverse pas la vague d’une forte émotion – ce qui est rarement le cas lors d’un conflit avec un pair – et surtout à condition que quelqu’un lui ait au préalable montré comment faire – il ne s’agit pas d’une aptitude qu’il va sortir comme par magie de son chapeau. On entend déjà des objections : “faut pas croire qu’ils sont incapables de résoudre des conflits, ça c’est pas vrai ! Faut éviter d’être trop interventionnistes”. Pour nombre d’adultes en effet, il ne faudrait pas à tout prix, immédiatement et dans chaque cas de conflit, intervenir : en somme, il faudrait laisser les enfants s’en sortir seuls, sans intervention et sans aide. Pourtant, les enfants ont justement besoin qu’un adulte sécurisant soit au plus près d’eux : en effet, leur cerveau logique n’est pas encore totalement fonctionnel. Or, dès lors qu’un enfant ne se sent pas en sécurité, son être tout entier se met en alerte – ce qui, inévitablement, influence ses réactions et empêche une résolution rationnelle et non-violente du conflit.
Certes, ce n’est pas toujours le cas : certains enfants sont naturellement à l’aise dans les interactions sociales, même les plus délicates – ils ont un “bon contact”, ils dégagent quelque chose qui leur évite précisément de se retrouver dans des conflits. Ce n’est pas le cas de tous : d’autres enfants sont plus souvent une cible, et se retrouvent en position de victime. Il s’agit d’un phénomène extrêmement important, qui ne connaît aucune frontière : ni territoriale, ni raciale, ni âgiste. -En France, 1 enfant sur 10 est concerné par le harcèlement scolaire-
Pourtant, les enfants n’ont pas à avoir ces responsabilités-là, ils ne devraient pas avoir ces responsabilités-là : car dans ce genre de situation, ils perdent leur rôle d’enfant. Ils doivent alors rester en état d’alerte, de vigilance : ce qui est pourtant le rôle des adultes. Des adultes devraient donc assurer l’exemplarité, l’accompagnement, et la protection des enfants, en tout temps et en tous lieux. L’enfant ne peut pas mettre en pause ses jeux, ses expériences, sa concentration et son besoin de sécurité, sans tout simplement risquer de nier qui il est.
Ordonner à l’enfant de se défendre
Deux cas récurrents observables :
- L’adulte reste à côté, en spectatrice/ spectateur, à 1 m de là, tout proche de l’enfant, et lui somme de se défendre “repousse-le”, “protège-toi”, “fais-lui *Stop* avec ta main”, etc
- “Débrouille-toi, je te laisse dans la cour parmi les 150 enfants, tu vas te défendre et je ne serai pas à tes côtés pour te dire “défends-toi”. L’enfant n’a donc pas le choix, il est obligé de se défendre : ça n’est pas un ordre, c’est une conséquence, du fait de se retrouver tout seul parmi d’autres enfants. Ce type de situation peut aussi arriver en dehors de l’école : au parc, dans une aire de jeux, une bibliothèque, voire même une fête d’anniversaire. Les enfants ont bien compris qu’ils sont en danger : ils demandent plusieurs fois aux adultes alentour d’intervenir, ils leur demandent de les accompagner, ils se montrent obstinés et insistent malgré les refus.
Ordonner à l’enfant de se défendre, c’est le mettre dans une situation d’insécurité très forte : trop forte pour qu’il puisse bien la gérer. Par la suite, bon nombre d’enfants vont même culpabiliser de ne pas avoir su se défendre, comme le leur avaient “conseillé” leurs parents. Ces enfants, blessés dans leur intégrité, pourront être amenés à cacher leurs blessures, à les enfouir : par honte souvent, mais aussi par peur de se confier, puisqu’on les avait sommés de se défendre, et qu’ils ont failli à cette mission.
À la longue, tout cela a un impact délétère sur la relation avec l’adulte : l’enfant qui n’a pas été soutenu ni aidé quand il en avait besoin va perdre confiance, en lui-même d’abord, mais aussi peu à peu en les autres. Le ressentiment grandira avec lui : il va en vouloir à l’adulte, accompagnant défaillant, voire totalement absent.
À ce stade, vous vous dites sans doute : “oui, mais bien souvent mon enfant ne me parle même pas de ses conflits ! Comment intervenir si je ne suis pas au courant ?”
Pourquoi donc l’enfant ne se confie-t-il pas sur un conflit qui se passe en dehors de la présence de ses parents ?
Il peut penser que le parent est déjà au courant, mais plus souvent il “oublie” :
- soit parce qu’il pense que ce n’est pas une priorité (ce qui, dramatiquement, souligne son sentiment d’insignifiance aux yeux de ses parents) ;
- soit parce que c’était trop traumatisant pour lui, et que son cerveau, dans une démarche de survie, va l’enfouir dans son inconscient – et alors le mal, insidieusement, poursuivra son œuvre de destruction de l’enfant ;
- soit parce que, tragiquement, l’évènement est passé “à la trappe”, parce que devenu trop “ordinaire”, trop fréquent – une sale habitude, qui fait que bien souvent les petites victimes en viennent à croire qu’elles n’ont que ce qu’elles méritent.
L’agression : un appel au secours
C’est très difficile de changer de paradigme en matière d’éducation, d’autant plus en France qui est depuis si longtemps une société traditionnellement patriarcale. Afin de prendre conscience des effets délétères des modes d’éducation ancestraux, et donc du besoin de changement, il est nécessaire de prendre du recul. L’adulte doit comprendre que l’enfant “blessant” agit comme il le fait précisément parce qu’il a lui-même des besoins non-comblés : il agit ainsi parce qu’il est en souffrance. Le mode agressif n’a été choisi pour s’exprimer que parce qu’il n’a pas d’autre moyen de le faire : il fait comme il peut, avec ce qu’il a – avec ce qui lui a été appris – “débrouille-toi”…
D’autre part, il est nécessaire que les parents prennent aussi conscience de leur propre implication dans le conflit : à travers leur enfant, ils sont eux-mêmes blessés : en tant que parent attaché à son enfant, bien sûr, mais aussi en tant qu’ancien enfant qui avait lui-même, en son temps, été agressé. Des souvenirs douloureux, dont la blessure n’est bien souvent pas encore refermée (et ce, précisément parce qu’à l’époque, aucun adulte aimant ne l’avait prise au sérieux), viennent biaiser son jugement et vont influencer sa réaction. L’adulte se retrouve ainsi à son tour sous le coup d’une émotion forte, qui va l’empêcher de mobiliser son empathie à l’égard de l’enfant “blessant” : ainsi, il ne pourra pas réagir de manière rationnelle et compréhensive. De fait, le conflit ne sera pas résolu, et puisque l’enfant “blessant” n’aura toujours pas été entendu dans sa douleur, il sera amené à reproduire le même comportement agressif, perpétuant ainsi le cercle de souffrance et la communiquant à d’autres – jusqu’à ce qu’un témoin secourable prenne suffisamment de recul pour percevoir la douleur à l’origine du comportement agressif.
Malheureusement, l’éducation “classique” fait que ces schémas du bien et du mal sont profondément ancrés en la plupart d’entre nous – l’éducation à l’ancienne a ainsi fait bien des ravages. Afin de se libérer de cette vision dichotomique du monde, il nous faut déconstruire ce qui nous a été inculqué dans notre propre enfance : non, les méchants, ça n’existe pas – il n’y a que des êtres blessés, rongés par une souffrance qui les pousse à commettre des appels au secours dont la violence devrait nous alerter sur leur degré de souffrance.
Culturellement, nous avons été habitués, et le sommes toujours, à réagir à une agression par encore plus de violence. Nous sommes habitués à simplement dénoncer celui ou celle qui a commis le mal, sans chercher à comprendre ce qui a amené à l’acte. Nous jugeons l’agression comme un fait intolérable, là où, précisément, la tolérance voudrait que l’on s’interroge sur les motivations – en cessant de se contenter de juger les résultats. Oui, l’agression est impardonnable – mais chercher à comprendre ce qui l’a produite permettrait d’aider à la réduire … Il ne s’agit pas du tout de justifier la violence, loin de là. Une agression reste inexcusable : le fait de souffrir ne donne en aucun cas le droit de faire souffrir autrui. Néanmoins, sans empathie envers l’agresseur, sans cette recherche d’origine de la souffrance qui a mené à l’agression, comment réduire le nombre de victimes ?
Mais comment apprendre à avoir de l’empathie pour ceux qui nous blessent ? L’être humain a besoin de d’abord recevoir de l’empathie, pour être capable d’en fournir à son tour.
Les punitions n’aident pas non plus : les cas de récidives sont nombreux, et les enfants, encore plus blessés, ne sont pas plus heureux.
Ne pas reproduire les schémas traditionnels : changer de posture
Ne connaissant pas d’autre façon de faire, j’ai moi-même longtemps répété le schéma que j’avais subi : jusqu’en 2019. A ma propre fille, j’assenais des « défends-toi, protège-toi, repousse-la/le, fais Stop avec ta main, etc ». J’étais agacée par le comportement de l’autre enfant, qui continuait. Parfois, je râlais sur lui, voire je l’ignorais, l’isolais ou le moralisais… Puis, nous avons partagé des vacances avec la famille de mon amie et illustratrice @amphigary lors de l’été 2019. Après plusieurs conflits entre enfants âgés d’environ 2 ans, nous avons pu observer que nos paroles (comme le fameux “défends-toi”) ne faisaient qu’accentuer les violences.
De fait, lorsque le (de manière générale) parent adopte cette posture, les besoins de l’enfant ne sont pas entendus : or, ne pas les entendre équivaut à en nier l’existence. Se « défendre de l’autre » n’arrange en rien le problème : le besoin non-comblé, l’émotion intense exprimés implicitement dans le comportement agressif sont alors totalement éludés. On a tendance à penser : « oh, on ne va pas le plaindre, c’est lui qui a commencé », alors qu’en général c’est justement l’agresseur qui souffre le plus. Hélas, par nos réactions, sa souffrance risque fort de s’aggraver. En effet, l’enfant “blessant” pourra se voir coller une étiquette, tandis que ses émotions/ressentis seront reniés, et ses besoins minimisés, voire totalement ignorés. Les réflexions critiques devenant alors récurrentes, les étiquettes deviendront des bagages : ce qui influencera le comportement social de l’enfant, ainsi que l’image qu’il a de lui-même – le cercle vicieux est alors enclenché, au détriment de la santé physique et mentale de l’enfant.
Entre adultes
Beaucoup de parents sont gênés, voire indignés, que le parent en face ne réagisse pas, voire minimise le comportement de leur enfant – “l’agresseur” : par exemple, lorsque des enfants plus âgés, plus forts, ont des gestes très violents envers des enfants plus jeunes ou de taille plus petite (coups de poing, étranglement, claque, etc). À la première situation de conflit entre enfants s’ajoute alors le conflit des adultes : les différents parents présents ne sont pas d’accord à propos de l’accompagnement à offrir aux enfants en cas de conflit… Les enfants sentent inévitablement la tension générale augmenter, ce qui accroît leur insécurité.
Ne pas intervenir : c’est valider, c’est laisser seul, en situation de danger. Le parent de l’enfant blessé ne se sent pas écouté, et en insécurité accrue lorsqu’il se retrouve face à un parent qui trouve des excuses à l’enfant “blessant” : “il est jaloux, il a besoin de jouer”. Le ressenti de l’enfant blessé n’est alors ni accueilli, ni protégé.
On trouve aussi parfois le cas du parent qui élude totalement le comportement agressif. Une stratégie très efficace est de couper la parole : “tu t’es trompé, c’est pas ton enfant qu’il a étranglé, c’est celui d’à côté”. Alors on dit à l’enfant “va jouer ailleurs”, et, par ce détournement d’attention, on estime que le problème est entièrement et définitivement réglé.
Enfin, il se peut que l’adulte lui-même soit en état de sidération, ce qui bien entendu ne fait qu’aggraver la situation pour les enfants. La sidération est une réaction involontaire du cerveau : on se retrouve pétrifié. Cela peut se manifester par des réactions physiques (sueurs, pâleur, etc) mais aussi demeurer invisible – ce qui arrive bien souvent, par exemple, à des enfants pris à partie en situation collective : s’ils demeurent inertes, sans réaction, c’est simplement parce que la peur a bloqué leur cerveau.
Être parent de l’enfant à l’initiative de l’agression nous place en position de victime. Pourtant, la société nous colle l’étiquette d’agresseur : on se sent alors mal à l’aise, attaqué dans notre propre intégrité : celle d’un individu à part entière, mais aussi celle de notre rôle de parent. On se sent jugé dans notre mode d’éducation, ainsi que dans notre efficacité.
Souvent, les autres adultes présents nous demandent de faire cesser notre enfant : or, comment un enfant qui agresse parce qu’il souffre pourrait-il entendre la souffrance de l’enfant blessé et faire preuve de douceur, alors que sa douleur à lui n’est pas approuvée ? Plus clairement : comment reconnaître la douleur de l’autre, lorsque la nôtre ne l’est pas ? Comment maîtriser la violence de l’autre, quand on n’est pas toujours capable de maîtriser la nôtre ?
Ainsi, nombreux sont les parents qui réagissent par le déni, qui essaient de dédramatiser l’événement : “bah, les enfants sont comme ça de toute façon”. Là encore, il serait plus productif de ne pas juger : ces parents sont simplement démunis, tiraillés entre leurs propres ressentis, leurs souvenirs, leurs craintes, et les injonctions sociétales.
Conclusion
• Je dois la protéger plutôt que lui ordonner de se défendre •
Il ne s’agit pas non plus pour le parent d’arrêter l’autre enfant, mais bien de protéger les deux. Pour un enfant, sur le long terme, avec un environnement exemplaire, il ne s’agira alors plus de dénoncer l’autre, mais de parler de soi, de ses ressentis, émotions et besoins.
Exemplarité/Entourage
Pour les enfants, il n’y a pas que l’immaturité cérébrale qui entre en ligne de compte : il y a aussi le fait qu’ils reproduisent beaucoup ce qu’ils voient. C’est ce qui explique que les adultes aient leur part de responsabilité, et pourquoi il est si important d’avoir un comportement exemplaire, à la fois à la maison, et dans nos interactions familiales, amicales et sociales. Ainsi, on peut :
- accompagner l’enfant sans rapport de force, sans violences
- ne pas laisser s’instaurer un climat qui banalise la violence, notamment en gérant nos propres conflits sainement
- lorsque nous avons vraiment besoin de nous défendre, nous pouvons leur montrer les gestes de défense : ils les apprendront en observant. On peut aussi verbaliser, ou signer, pendant l’action « je mets ma main 🤚🏻 devant pour me protéger »
- pour une fratrie, privilégier des moments parent-enfant avec l’un et l’autre régulièrement
- comprendre que ce que l’enfant “blessant” fait peut être une reproduction de ce qu’il a subi, ou de quelque chose dont il a été témoin – mais dont il a souffert, dans les deux cas
- comprendre qu’il peut avoir des réactions impulsives sans que ce soit une reproduction d’une souffrance passée, mais que cela peut aussi venir de son état émotionnel. On croit trop souvent, à tort, que le problème vient forcément des parents : alors toute l’attention sera tournée vers eux, ce qui est délétère pour l’enfant, dont les besoins et les ressentis sont à nouveau niés, car pas entendus
- s’assurer d’améliorer son climat afin qu’il ne subisse plus ce genre de traitements, si tel est le cas, ou que ses besoins puissent être comblés continuellement
Protéger
- protéger les deux enfants en même temps, sans minimiser les besoins/émotions/mal-être de l’un ou de l’autre. Si besoin, faire une barrière avec notre propre corps
- protéger l’enfant agressé, entendre sa souffrance et ne surtout pas la minimiser ; bien lui faire comprendre qu’il ne méritait en aucun cas ce qui lui est arrivé, et qu’un autre, qu’il soit enfant ou adulte, n’a pas, jamais, sous aucun prétexte, le droit de le brutaliser
- développer l’empathie des maux par les mots : en verbalisant ce que l’autre ressent
Écouter et accompagner
Il n’est pas indispensable d’avoir l’historique complet du conflit pour faire preuve d’écoute empathique, même si cela peut faciliter la compréhension, surtout quand les événements deviennent récurrents (en situation de harcèlement, par exemple). La plupart des parents éprouvent le besoin de départager les enfants en conflit : ils jugent la situation, décident qui a le droit de garder la balle, qui va être brimé, voire puni, etc. Il y a là une forme d’adultisme, compréhensible néanmoins, si l’on prend en compte les impératifs situationnels – cela peut être le besoin d’assurer la sécurité des enfants en jeu, cela peut aussi être une injonction sociale (trop de bruit, trop de chahut, par exemple).
Vouloir départager des enfants, ce n’est pas être dans l’accompagnement. Considérer que les choses sont quand même justes (si, par exemple, on octroie à chacun un temps précis avec le ballon), ce n’est pas être dans l’accompagnement.
Être dans l’accompagnement, c’est proposer de trouver des solutions tous ensemble (le “blessant”, le “blessé” et l’adulte qui accompagne). Accompagner les enfants, c’est chercher avec eux des alternatives, ou tout au moins les encourager à le faire ; c’est proposer des arrangements ; c’est être un arbitre respectueux de chacun des partis en conflit, et faire en sorte que celui-ci non seulement cesse, mais surtout ne resurgisse pas.
Être dans l’accompagnement, c’est ne jamais reporter la faute sur l’enfant (le “blessant” ou le “blessé”, peu importe), mais c’est plutôt, de manière générale, s’interroger sur la responsabilité des adultes et leur manque de réactivité/ d’accompagnement.
Être dans l’accompagnement, c’est chercher, sur le moment, à connaître les besoins et émotions de chacun – et oui, même de celui qui a “blessé” l’autre : Qu’exprime-t-il ? Que cherche-t-il à communiquer ? C’est s’intéresser à la version de chacun, même si celles-ci paraissent contradictoires.
Être dans l’accompagnement, c’est faire preuve d’empathie, être à l’écoute des ressentis de l’autre, et entendre ses souffrances – même si elles nous déplaisent ou nous heurtent dans notre propre sensibilité de parent – par exemple, parfois l’enfant ne veut tout simplement pas partager l’affection de l’adulte avec un.e autre enfant, même si c’est son frère ou sa soeur. Le but n’est pas de partager le ressenti de l’enfant qui souffre, mais simplement de le reconnaître : l’entendre, l’écouter, c’est lui reconnaître son droit fondamental à exprimer sa souffrance, à l’extérioriser, à la partager avec quelqu’un afin d’obtenir un peu de réconfort, et ainsi pouvoir espérer en guérir.
Par conséquent, il est essentiel de peser nos mots et nos réactions envers l’enfant qui souffre. En effet, si, par exemple, un enfant pleure pour un objet et qu’on se précipite pour le lui rendre, on l’interrompt dans son processus émotionnel : on met un terme soudain à ses pleurs, sans savoir cependant s’il a eu le temps d’aller au bout de son émotion ? C’est pourquoi il est si important de parler d’émotions et de besoins, devant nos enfants et avec eux. C’est pourquoi il est si important, aussi, de ne pas hésiter à exprimer devant eux nos propres besoins et nos propres ressentis : par l’exemplarité, ils apprennent à faire de même. Ainsi, ils seront peu à peu plus à l’écoute de leur être, donc plus à même de répondre à leurs besoins – un pas gigantesque vers plus d’apaisement et moins de souffrance, vers un bien-être quotidien qui prévient la violence, envers autrui mais aussi envers eux-mêmes.
Attention toutefois à ne pas sombrer dans la leçon de morale : cela abîme la relation, en instaurant une forme de hiérarchie dans la relation parent-enfant, avec la supériorité de l’adulte : “moi je sais mieux que toi”. Donc oui, expliquer à un enfant que son comportement n’est pas adapté est une leçon de morale. En revanche, soi-même -en tant qu’adulte- protéger, écouter activement, et accueillir la souffrance de l’enfant blessé, c’est, par l’exemplarité, ouvrir les yeux de l’enfant blessant vers une rationalité empathique, qui sera bénéfique à tous.
De même, il est important de ne pas reprocher constamment des choses à son enfant. D’abord, c’est un enfant : il fait de son mieux, il découvre le monde à son rythme, au fur et à mesure, en fonction de ce que son entourage lui apprend et de l’environnement qu’il met à sa disposition. Ensuite, il est tout aussi important de ne pas catégoriser nos enfants, par nos réflexions plus ou moins déplacées, plus ou moins conscientes (plus ou moins reproduites de schémas vécus lors de notre propre enfance). Coller des étiquettes sur le dos d’un enfant, c’est injustement l’enfermer dans un mode de pensée qui modèlera ses comportements futurs.
Enfin, il ne s’agit pas non plus d’essayer de “faire comprendre” avec l’injonction de “se mettre à la place de”. Pourquoi demander à un enfant de 2 ans : “Tu serais content de recevoir une claque ?” alors que son cerveau immature n’a pas les capacités physiologiques nécessaires pour établir un lien entre l’événement et cette phrase. Celle-ci sera donc mal interprétée, et de fait vécue comme une menace : ce que l’enfant de 2 ans risque de conclure, c’est qu’il risque de recevoir une claque. Ce qui s’imprime alors en lui ce n’est pas de l’empathie pour l’autre, mais de la peur pour lui-même. Ainsi, le parent ne parvient pas au but recherché, et maintenant ce n’est plus seulement un enfant qui souffre (le “blessé”), mais deux (le “blessé” et le “blessant”). Le “blessant”, déjà submergé par sa douleur initiale (celle qui a conduit à la claque, par exemple, l’autre enfant a pris sa petite voiture), s’en voit infliger une autre, potentiellement encore plus violente, puisque celle-ci lui est infligée (la plupart du temps) par un adulte de confiance, une figure d’attachement. On comprend alors aisément que cet enfant souffrira encore plus, par une forte insécurité, tandis que le lien qu’il entretient avec l’adulte en prend un coup – et, de fait, la récurrence de ce type d’épisode dans la vie d’un enfant perturbe dangereusement le lien entre l’adulte et l’enfant – de quoi comprendre, sans doute, une partie des communément nommées “crises d’adolescence”, non ?
Extérioriser
Chaque personne, enfant comme adulte, a besoin d’extérioriser une violence subie. Si la souffrance causée par la violence n’est pas extériorisée, elle rongera sa victime de l’intérieur. Il est donc primordial de trouver un moyen sain de décharge, pour le “blessé” comme pour le “blessant”.
Pour ce faire, il peut être intéressant de rejouer des scènes de conflit pendant un temps de jeu, en incluant les notions de souffrance et de protection. Ainsi, à froid, grâce à des jeux de rôle, on peut aider l’enfant, en montrant :
- qui souffre et pourquoi
- comment construire ensemble des alternatives de résolution des problématiques.
On peut également utiliser des jeux de décharge, qui aident à alléger le corps et l’esprit : on joue à crier, à sauter, à se défouler,…
On peut enfin proposer des jeux de société.
Soigner
Lorsque cela compte pour l’enfant, on peut être tenté de mettre l’accent sur la qualité de la relation avec l’autre, mais à froid, c’est-à-dire quand les esprits sont sereins, pas en proie au conflit. Cependant, ce type de réponse de la part du parent comporte un risque de faire culpabiliser l’enfant, et de le conduire, involontairement, à nier ses propres besoins au profit de l’autre – l’enfant prenant alors sur soi pour éviter le conflit avec un autre enfant qu’il apprécie particulièrement, avec qui il a peur de se brouiller – il s’efface pour ne pas perdre l’affection, comme avec un parent devant lequel il capitule de crainte de perdre sa figure d’attachement.
En outre, et un peu pour les mêmes raisons, il est important de ne pas obliger l’enfant “blessant” à s’excuser. On peut plutôt chercher à comprendre comment prendre soin ensemble de la relation, afin d’éviter qu’elle ne s’abîme : “quand tu agis comme ça, il peut avoir peur de toi, et ça peut abîmer votre relation.” L’enfant agit alors ensuite pour soigner la relation, ou le lien d’amitié (et non plus par peur).
Ressources par ordre d’apparition :
Nous pouvons tous être des « témoins secourables » (notion d’Alice Miller)
La Communication Non Violente … pour soi-même.
Un article de Kirstin Guilbert Letouzé, co-pensé avec @amphigary, corrigé par Anne-Catherine Proutière