En France, pendant longtemps, le corps médical s’est préoccupé de garantir à la mère un accouchement sans douleur, sans se soucier du bébé qui n’avait pas encore d’existence propre aux yeux du médecin. La tendance est très longtemps restée à s’occuper de la mère, et pas vraiment du nouveau-né.
Dans les années 60-70, les médecins Frédéric Leboyer, Françoise Dolto* et Bernard This ont développé et exposé au grand public des théories nouvelles qui auraient dû révolutionner notre façon de penser l’accouchement des mères et l’arrivée des bébés. A une époque où les nouveau-nés étaient encore opérés sans anesthésie, suspendus par les jambes à la sortie du ventre de leur mère, et se voyaient d’entrée de jeu recevoir une gifle ou une fessée, sous les yeux émerveillés de tout le monde, ces médecins atypiques créèrent un énorme raz-de-marée en se plaçant du point de vue du nouveau-né, être sensible et conscient. Cette révolution, malheureusement, n’a pas bouleversé le système en profondeur.
Bernard This
Médecin et psychanalyste français, il fut le premier à demander, dès les années 50 : « respectez la sécurité de base d’un enfant ». Il dénonça sans relâche la « boucherie » de l’accouchement, et les séparations « traumatisantes » – sachant qu’à cette époque les nouveau-nés étaient systématiquement placés en nurseries et amenés à leur mère pour la tétée selon le bon vouloir et la disponibilité des puéricultrices, et au mépris total des besoins de l’enfant et de sa mère. This marqua également les esprits en revendiquant la faculté de sourire du nouveau-né, toujours dès les années 50 : selon ses observations, les bébés ne « sourient pas aux anges », mais à qui sait les regarder.
Il fut avec Danielle Rapoport co-créateur du Groupe de Recherche et d’Etude du Nouveau-Né (GRENN). Il participa activement au développement de l’haptonomie, dès le début des années 80 – l’haptonomie étant une méthode douce de caresses données par les parents au bébé à travers le ventre de la femme enceinte. Cette méthode, fondée par Frans Veldman, est considérée comme une base essentielle à l’installation de l’affectivité, ainsi qu’au bien-être du fœtus.
This insista par ailleurs beaucoup sur le rôle du père.
« Moi quand je vois une femme enceinte, je dis toujours bonjour au bébé ».
Bernard This a beaucoup moins marqué les esprits que Frédéric Leboyer, bien qu’il ait publié davantage. Il attribuait le succès de Leboyer, qui a aussi été énormément critiqué, au fait qu’il ait utilisé pour appuyer ses écrits de nombreuses photos, puis des films, montrant les expressions de nouveau-nés. Nous avons lu les deux auteurs, il est vrai que Leboyer est beaucoup plus agréable à suivre et « digeste » que This. Les idées de ce dernier n’en restent pas moins plus qu’honorables.
Frédéric Leboyer
Ce n’est pas la femme qui accouche, c’est l’enfant qui naît.
Leboyer s’est permis cette affirmation en se basant sur la découverte indéniable que l’hormone qui provoque les contractions, puis l’accouchement, trouve son origine dans le corps du fœtus. Leboyer passa une partie de sa vie en Inde, où il découvrit entre autres le yoga, et les nombreux atouts des massages shantala, qui le conduisirent à reconsidérer totalement les méthodes classiques d’accouchement occidental.
Son livre le plus connu, « Pour une naissance sans violence », sorti en 1974, a soulevé les passions et provoqué de nombreux conflits.
Françoise Dolto
Dolto, qui s’intéressait plus à la vie prénatale, insista néanmoins beaucoup elle aussi sur la nécessité de traiter le nouveau-né comme un véritable sujet, et demandait notamment à ce que les soignants en salle d’accouchement surveillent leur langage qui, selon elle, s’imprimait dans la mémoire de l’enfant. Les jugements divers qu’ils pouvaient prononcer étaient aussi dangereux pour conditionner la mère sur le caractère de son bébé. Dolto pensait que cela pouvait graver dans l’esprit des parents des étiquettes qui poursuivraient l’enfant sa vie durant.
Avec Bernard This, elle fonda les Maisons Vertes, maisons d’accueil pour les parents et leurs enfants, de la gestation jusqu’à l’âge de 3 ans.
*Il est important de noter que la position controversée de Dolto ne doit pas minimiser son influence positive sur l’éducation en France, mais doit être considérée comme un point de vue particulier sur un sujet complexe et sensible. Dans cet article, nous nous focalisons sur l’influence de Dolto sur l’éducation en France et sur son rôle dans l’évolution de la pratique pédagogique.
Adapter l’environnement de la salle d’accouchement à la naissance.
This comme Leboyer étaient d’accord sur ce point pour eux fondamental : la salle d’accouchement classique est beaucoup trop froide et technicisée. De par son agencement et le climat qui y règne, elle crée pour le nouveau-né des conditions d’arrivée dans le monde particulièrement violentes.
Ces médecins innovants pensaient au contraire qu’il fallait créer un environnement qui rappelle au bébé les conditions dans le ventre de sa mère, afin que le passage entre deux mondes si différents se fasse le moins brutalement possible. Créer un environnement propice au calme et à la lenteur, favorisant le bien-être du nouveau-né, et la rencontre avec sa mère. C’est à nous, adultes, de nous adapter à la temporalité du bébé (qui est d’une lenteur extrême). Ce n’est pas à lui, fragile nouveau-né, perdu dans un nouveau monde qui lui est étranger, de s’adapter au monde sur-agité et sur-stressé des adultes. C’est aussi une question de dignité, et de respect infini devant le miracle de la vie.
Il est essentiel que la maman fasse cette pause, et donc qu’on le lui permette, et qu’on l’y autorise. Prise dans la frénésie qui nous est habituelle, comment peut-elle rencontrer réellement son enfant, qui lui sort d’un état pas loin de l’immobilité ? La maman se doit d’être là et, pour une fois, de vivre l’instant présent. Elle ne doit surtout ne pas se projeter dans l’avenir, avec par exemple les mille et unes inquiétudes liées à une naissance. Elle ne doit pas non plus se complaire dans un état nostalgique lié à la grossesse, ou revivre les derniers jours, les dernières heures, l’avant. L’enfant est là, maintenant, dans l’instant présent, et il a besoin de cette connexion, à cet instant.
Donc, on se met en mode pause, on prend le temps. Mais aussi :
- On maintient une certaine pénombre pour les petits yeux, qui étaient bien protégés dans l’utérus, et ne doivent pas être agressés par les lumières crues bien connues des blocs opératoires. La pénombre favorise aussi l’intimité de la rencontre, et facilite calme et repos pour tout le monde ;
- On crée et on respecte le silence : stop aux agressions sonores à l’arrivée de bébé, qui sort d’une bulle faite de silence et de sons étouffés par les parois utérines et le corps de sa mère. Pensons aussi à la maman, qui ne peut qu’être stressée par tous ces cris, toute cette agitation ;
- Le nouveau-né n’est pas un objet : le corps médical ne doit pas se précipiter sur lui pour multiplier les tests, les mesures, les gestes invasifs qui sont autant de moments terrorisants pour le tout-petit. Le bébé a une conscience : il ressent, il souffre, il a peur (l’amygdale cérébrale, qui est le centre de la peur, est un des rares organes cérébraux humains à être mature et opérationnel dès la naissance) ;
- On n’exhibe pas bébé comme un trophée : c’est un être humain, à part entière, voué à devenir indépendant, ce n’est pas une chose, ni notre propriété. A ce titre, il est conseillé de privilégier les expressions du type « je suis sa mère » plutôt que c’est « mon bébé », et d’éviter les séances photos avec de multiples personnes. En ces premiers jours d’existence, c’est avant tout de ses parents dont l’enfant a besoin.
Le cas du cordon
Couper le cordon. En général, les médecins ou leurs assistants se précipitent pour le faire. Or, c’est, selon Frédéric Leboyer, un acte d’une « grande cruauté », pratiqué sans se demander s’il a des répercussions sur le bébé. Pourtant, rappelons-nous à quoi sert le cordon ombilical : c’est ce qui relie l’enfant au corps de sa mère, c’est ce qui lui permet de vivre. Le cordon apporte à l’embryon, puis au fœtus, l’oxygène et les nutriments essentiels à sa survie et à sa croissance. Pourvu de 3 vaisseaux sanguins, 2 artères et une veine, il se charge aussi d’évacuer les déchets produits par le petit corps en construction. Le cordon ombilical donc, bat. Or, il bat encore quelques instants après la naissance.
A la lumière de cette définition, on comprend mieux en quoi le geste est violent, et prématuré. Là encore, prenons le temps ! pourquoi se précipiter pour couper un organe qui vit encore, qui relie encore l’enfant à sa mère ? l’air qui a envahi les poumons du tout-petit a provoqué en lui une brûlure très douloureuse, qui a induit les cris. Tout le monde se réjouit de ses cris, on s’inquiète même s’ils ne sont pas poussés, ou s’ils ne sont pas assez déchirants. Pourtant, ce sont bien des cris de douleur. Mettons-nous à la place de cet enfant, de ce bébé, qui découvre tout à coup, et tout en même temps, dans une brutalité extrême, les lumières vives, les bruits intenses, le froid, le vide, le monde. Pourquoi ne pas laisser le temps au bébé de s’adapter à tout ça ? pourquoi lui faire subir tout d’un coup ? le cordon, ce ruban magique qui le maintient en vie depuis 9 mois, bat encore. Laissons-le donc encore quelques instants : permettons au nouveau-né de prendre conscience de tout ça avec un peu moins de brutalité. Laissons-le encore, quelques minutes, bénéficier de la respiration de sa mère, afin que son système à lui puisse se mettre en place en douceur, et non dans la brutalité et l’urgence, contraint et forcé pour survivre. Tant que le sang bat dans le cordon, c’est que la vie y passe, elle continue de partir de la mère, pour aller vers l’enfant. Pourquoi donc rompre si brutalement cette force de vie ? posons bébé sur le ventre de sa mère, et mettons tout autour d’elle sur pause. Laissons-les se rencontrer, laissons la Nature, la Vie, faire leur travail. Peu à peu, le petit corps va s’adapter, les poumons vont commencer à respirer, tranquillement, sans urgence, à leur rythme, sans douleur, parce que le cordon est là pour assurer encore le relais. Ce petit être qui vient de changer d’univers, n’a pas trop de deux approvisionnements en oxygène pour s’adapter, pourquoi donc le priver ? Le sang dans le cordon bat plusieurs minutes après l’accouchement, à cette fin – ne nous dressons pas contre la Nature, ne provoquons pas la douleur en l’enfant (pour des raisons de productivité ?) alors que le corps humain est prévu pour que cette étape se passe en douceur.
Il s’agit là d’une approche radicalement différente de l’accouchement, mais oh combien respectueuse de l’enfant ! Oxygéné par deux voies différentes, les risques d’anoxie (manque d’oxygène) sont de fait divisés par deux. Couper le cordon quand il a cessé de battre, quand l’enfant a fait une transition en douceur dans son nouveau monde, c’est lui garantir une toute autre approche de la vie, un départ sans douleur. C’est diminuer considérablement le risque de devoir faire face à ces instants si angoissants où le bébé, pris de panique, hurle à en oublier de reprendre son souffle. C’est lui garantir moins de stress général, une entrée dans la vie plus sereine et plus enthousiaste.
Et après ?
- La tétée : le nouveau-né est sur le ventre de sa mère. Afin de l’aider à trouver le mamelon, sachant qu’il est guidé en cela par son odorat, il est important de ne pas surcharger la salle de naissance d’odeurs agressives et déroutantes, et de veiller à éliminer le plus vite possible certaines odeurs fortes liées au contexte hospitalier.
- Le bain : Mettons-nous à la place du nouveau-né : d’où vient-il ? de quel environnement sort-il ? une bulle d’eau chaude, toute douce, tendre, où les bruits et la lumière étaient comme filtrés, atténués. Pour son bien-être, pour atténuer le stress de la naissance, recréons autant que possible cet univers, et plongeons le dans un bain qui va l’aider à se détendre, autant psychologiquement que physiquement. L’adulte qui tient le bébé va sentir son corps se relâcher, s’abandonner au plaisir et à cet univers rassurant dans lequel il se retrouve à nouveau. This comme Leboyer soulignaient que c’est souvent à cet instant que le nouveau-né nous gratifie d’un instant inoubliable : enfin rassuré, il ouvre les yeux. L’enfant est là et s’ouvre à nous, dans toute son unité de petit être tout neuf, qui ne devrait pas avoir déjà rencontré la souffrance. Il peut arriver que l’enfant pleure à la sortie du bain : ça peut être qu’il a froid ; ça peut être aussi qu’il proteste contre la fin, la terminaison de ce moment qu’il adorait. Entourons le bébé d’amour, et gardons le bien au chaud, contre le corps d’un de ses parents – une chaleur qu’aucune couverture n’égalera jamais.
- Accompagner les premiers mouvements de bébé : afin de nous adapter au mieux, souvenons-nous du type de mouvement que bébé pouvait ressentir quand il était dans le ventre de sa mère : des mouvements doux, quasiment constants. Quand il se retrouve dans un berceau, plus rien ne bouge, il peut avoir moins chaud, les tissus peuvent être un peu trop rêches, et c’est l’angoisse. D’autre part, dans le ventre de sa mère, l’enfant qui étire ses bras et ses jambes rencontre toujours la barrière de l’utérus – pensez, dans les premiers temps, à fournir un appui aux membres du bébé, cela le rassurera considérablement. Sans cela, la peur du vide peut s’avérer très envahissante, et douloureusement angoissante.
- Manipuler bébé : il faut savoir que la tête reste très fragile environ jusqu’à l’âge de 6 mois, et doit être manipulée le moins possible. Elle porte en elles tous les souvenirs traumatisants de l’accouchement, c’est elle qui a commencé le voyage, elle qui a forcé le passage hors du ventre de la mère. Le canal utérin est un passage très étroit. Pour Leboyer, le dos a aussi beaucoup souffert et doit faire l’objet de manipulations extrêmement précautionneuses. Les massages en douceur aideront le petit corps à se décontracter, la détente musculaire favorisant l’évacuation de la douleur.
Les travaux de Leboyer et This n’ont pas révolutionné les pratiques de l’accouchement en France. L’heure est encore à la production de masse et au faire toujours plus vite, au détriment du bien-être des bébés et des mamans. De nombreux spécialistes en obstétrique restent ignorants de toutes les découvertes pourtant fondamentales de ces médecins révolutionnaires, qui restent perçus comme de dangereux parias, des illuminés. A leurs méthodes douces sont préférés la technicisation maximale et l’opération chirurgicale. On continue aujourd’hui en France à favoriser les déclenchements et les césariennes au mépris des besoins humains, et bien souvent sans réelle indication médicale – mais bien avec des indications de gestion temporelle et donc financière. Ces pratiques impliquent pour le nouveau-né un passage plus ou moins long en néo-nat, et donc une séparation mère-enfant. Or, il est indéniable que ces séparations, ainsi que les mauvais traitements dont l’enfant fait l’objet lors de sa naissance, laissent des traumatismes parfois très graves, et qui tardent plus ou moins à se manifester selon les individus. Voir aussi : Limites des accouchements médicalisés
Illustration par : @amphigary (instagram) / @amphigary (facebook) / amphigary@icloud.com
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