Pourquoi les femmes sourdes sont oubliées dans les luttes féministes et plus exposées aux violences sexuelles

Les femmes sourdes sont victimes d’une double oppression : le sexisme et l’audisme (la discrimination envers les personnes sourdes). Cette intersection des discriminations les rend plus vulnérables aux violences et les invisibilise dans les luttes féministes dominantes. Pourtant, les chiffres sont alarmants : les femmes sourdes subissent jusqu’à deux à trois fois plus d’agressions sexuelles et de viols que les femmes entendantes. Alors pourquoi ces réalités restent-elles si peu abordées ?

1. Un féminisme conçu par et pour les entendantes

Les mouvements féministes majoritaires sont souvent dirigés par des personnes entendantes qui, consciemment ou non, n’intègrent pas les spécificités des femmes sourdes. Cela se traduit par :

  • L’absence d’accessibilité : Très peu d’événements féministes prévoient des interprètes en langue des signes ou des sous-titres pour les conférences et vidéos. Résultat, les femmes sourdes sont exclues des débats et des ressources militantes.
  • Une méconnaissance des réalités des femmes sourdes : Les violences spécifiques qu’elles subissent ne sont presque jamais abordées dans les campagnes de sensibilisation ou dans les revendications féministes.
  • Un effacement des figures féminines sourdes : Il existe des militantes féministes sourdes, mais elles sont rarement mises en avant dans les médias ou les espaces féministes dominants.

2. L’isolement linguistique et social

Les femmes sourdes sont souvent isolées, ce qui limite leur accès à l’information et aux ressources d’aide :

  • Beaucoup d’entre elles ne maîtrisent pas la langue des signes, car on leur a imposé une éducation oraliste (les forçant à lire sur les lèvres et à parler au lieu de signer). Sans langue fluide pour exprimer ce qu’elles vivent, il leur est encore plus difficile de dénoncer les violences.
  • Dans certains contextes, elles dépendent d’un conjoint ou d’un proche entendant pour communiquer avec le monde extérieur, ce qui peut créer des situations de contrôle et d’abus.
  • Les campagnes de prévention des violences sexistes et sexuelles ne sont quasiment jamais adaptées en langue des signes, ce qui les prive d’un accès crucial aux informations sur leurs droits et les recours possibles.

3. Un accès limité à l’éducation et à l’information

L’éducation des personnes sourdes est souvent inadaptée et insuffisante :

  • L’apprentissage de la langue des signes a longtemps été interdit dans de nombreux pays, laissant plusieurs générations de femmes sourdes sans moyen de communication structuré.
  • Même aujourd’hui, l’accès aux études supérieures pour les personnes sourdes reste difficile, ce qui renforce leur précarité et leur dépendance à des proches entendants.
  • Un manque d’éducation sexuelle et de sensibilisation aux violences : Les femmes sourdes ont souvent peu d’occasions d’apprendre ce qu’est le consentement, les relations saines ou les mécanismes de la violence, ce qui les rend plus vulnérables aux agressions.

4. Une hypersexualisation et une fétichisation des femmes sourdes

Comme d’autres minorités, les femmes sourdes sont parfois fétichisées. Elles sont perçues comme “exotiques”, “fragiles” ou “dociles”, des stéréotypes qui renforcent leur vulnérabilité aux violences sexistes et sexuelles.

  • Certains agresseurs ciblent spécifiquement des femmes sourdes, en pensant qu’elles auront plus de mal à se défendre ou à témoigner.
  • Une idée fausse circule aussi selon laquelle les femmes sourdes seraient “plus sensuelles” ou “plus réceptives”, ce qui alimente des comportements prédateurs.

5. Une vulnérabilité accrue face aux violences sexuelles

Des études ont montré que les femmes sourdes subissent 2 à 3 fois plus de violences sexuelles que les femmes entendantes. Plusieurs facteurs expliquent ce phénomène :

  • Difficulté à porter plainte : De nombreux commissariats ne sont pas équipés pour accueillir des victimes sourdes. Le manque d’interprètes et la méconnaissance des policiers rendent le dépôt de plainte extrêmement difficile.
  • Manque de crédibilité : Lorsqu’une femme sourde témoigne d’une agression, elle est souvent infantilisée ou jugée “moins fiable” que son agresseur entendant.
  • Dépendance aux agresseurs : Certaines femmes sourdes sont sous l’emprise de leur conjoint, de leur famille ou de leur employeur, ce qui rend les violences encore plus difficiles à dénoncer.

6. Un manque de reconnaissance des violences spécifiques

Même dans la communauté sourde, les violences sexistes ne sont pas toujours prises au sérieux :

  • La lutte contre l’audisme est souvent prioritaire, laissant les questions féministes au second plan.
  • Les femmes sourdes qui dénoncent des violences peuvent être mises sous pression pour “ne pas nuire à la communauté”. Surtout si l’agresseur est lui-même sourd, cela peut être d’autant plus difficile pour la femme concernée, car dénoncer un agresseur sourd signifie potentiellement l’exclure des rares espaces accessibles et adaptés à la communauté sourde, ce qui peut accentuer son propre isolement et la placer face à un dilemme douloureux. Et comme nous vivons dans une société patriarcale qui protège les hommes et minimise leurs violences, c’est bien souvent la victime qui finira par s’éloigner de ces lieux pour éviter de croiser son agresseur.

7. Une absence de représentation médiatique

Les femmes sourdes sont invisibilisées par la culture populaire et les médias. Peu de films, de séries ou de documentaires parlent de leurs expériences, ce qui perpétue leur effacement. Sans représentation, leurs réalités restent méconnues et leurs revendications ne sont pas prises en compte.

Que faire pour changer cela ?

Rendre les luttes féministes accessibles : Traduire les campagnes en langue des signes, prévoir des interprètes et inclure les femmes sourdes dans les espaces militants.
Former les services publics et les associations : Les commissariats, hôpitaux et associations de lutte contre les violences doivent être formés à l’accueil des femmes sourdes.
Visibiliser leurs vécus : Mettre en avant des militantes sourdes, partager leurs témoignages et sensibiliser aux violences spécifiques qu’elles subissent, en leur apportant de la visibilité.
Encourager l’éducation en langue des signes : Plus de femmes sourdes maîtrisant la LSF signifie plus d’autonomie, plus de solidarité et plus de capacité à dénoncer les violences.

Les femmes sourdes ont toujours existé et lutté, mais leur voix est souvent étouffée par le monde entendant. Il est urgent que les féminismes intègrent pleinement leurs réalités, car notre féminisme doit être intersectionnel.


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