Vous avez aperçu cette expression à plusieurs reprises au détour d’un article, ou bien sur les réseaux sociaux, dans des groupes de témoignage, d’entraide et de conseil parentaux, et vous vous demandez bien ce que cela signifie ?
Cette notion de témoin secourable vient d’Alice Miller (1923-2010). Psychologue brillante et renommée, Alice Miller s’était retirée en Provence afin de se consacrer à l’écriture des résultats de ses nombreuses recherches concernant le développement de l’enfant. Elle travaillait plus particulièrement sur les violences imposées aux enfants – celles que l’on voit, mais aussi et surtout celles que l’on tait – et les répercussions de ces violences sur l’individu à l’âge adulte.
Elle écrivit ainsi pas loin de 15 ouvrages dédiés à ce sujet, ainsi que de nombreux articles. Certains sont consultables en ligne, notamment sur son site dont voici le lien : alice-miller.com.
Alice Miller écrivait en allemand ou en anglais, aussi il peut arriver que les traductions varient, et que l’on trouve tour à tour les appellations suivantes : témoin empathique, éclairé, lucide, salvateur ou secourable. Nous nous sommes longuement penchés sur la question afin de décrypter ses diverses appellations, et nous allons tenter d’éclaircir ses notions, afin qu’elles puissent être utiles au plus grand nombre, dans l’intérêt des Enfants qui ont besoin d’aide (qu’ils soient intérieurs, ou pas).
Pour résumer de façon très succincte :
- un témoin secourable est quelqu’un qui aime un enfant maltraité
- un témoin empathique/éclairé/lucide est quelqu’un qui écoute une victime avec sollicitude et sans jugement, permettant ainsi la libération de l’enfant intérieur qui souffre dans un corps devenu adulte.
L’affection comme la libération sont primordiales et essentielles au bonheur de chaque individu. Sans cela, l’enfant intérieur jamais écouté, jamais consolé, voit son corps ployer sous sa souffrance. Cela se manifeste à l’âge adulte (parfois avant) par des soucis très variés mais bien concrets, pouvant aller des troubles de la personnalité à des maladies chroniques ou graves, en passant par la transmission de la violence aux générations suivantes.
Voici de plus amples explications :
Le témoin secourable de l’enfance
Le témoin secourable est quelqu’un qui montre à un enfant qui souffre de maltraitance, quelle qu’elle soit, qu’autre chose est possible, que l’amour existe bien, et que cette victime peut aussi faire l’objet d’affection, comme n’importe qui d’autre.
Le témoin secourable est, pour reprendre les termes d’Alice Miller,
une personne auprès de laquelle [on] pouvait se sentir en sécurité, aimé, protégé, respecté
Alice Miller
C’est une personne…
- qui revalorise l’être humain en souffrance
- qui lui rappelle qu’il a le droit d’exister
- qui lui rappelle qu’il mérite bien mieux que cette maltraitance dont il fait l’objet
- qui le rassure sur le fait qu’il est, lui aussi, aimable – au sens où il peut faire l’objet d’affection de la part de quelqu’un.
Ce rôle peut être assumé par n’importe quelle personne que la victime est amenée à croiser sur sa route : quelqu’un de la famille, ou bien un ou une inconnue, un enseignant, une voisine, une employée de maison, etc. Ce témoin est une personne qui apporte à l’enfant délaissé un peu de sympathie, idéalement même de l’amour. Cette personne ne cherche jamais à manipuler la victime, sous prétexte d’éducation ou autre, elle lui fait confiance et lui ré-apprend l’idée qu’il n’est pas « méchant » mais mérite bien que l’on soit gentil avec lui.
Grâce à ce témoin, qui ne sera d’ailleurs pas forcément conscient de son rôle crucial et salvateur, l’enfant apprend qu’il existe en ce monde quelque chose comme de l’amour.
Si les circonstances se montrent favorables, il arrivera à faire confiance à autrui, à préserver sa capacité d’aimer et de faire preuve de bonté, à sauvegarder en lui d’autres valeurs de la vie humaine. En l’absence totale de témoin secourable, l’enfant glorifie la violence et, plus tard, l’exercera souvent à son tour, de façon plus ou moins brutale et sous le même prétexte hypocrite.
Alice Miller – « Notre corps de ment jamais »
Pour illustrer cela de manière très simple, Alice Miller cite souvent l’exemple de Dostoïevski – un père extrêmement brutal mais une mère aimante, qui n’empêchait pas les coups mais témoignait de l’affection à son enfant – une mère « témoin secourable », qui montrait à son enfant que l’amour est possible malgré la violence, et qu’il pouvait en faire l’objet.
Tous les hommes et les femmes interrogés, par Alice Miller ou par d’autres, qui avaient subi des violences à des degrés divers dans leur enfance mais qui n’ont pas perpétué les schémas de la violence sur leurs propres enfants, ont tous dit avoir bénéficié de l’appui d’un « témoin secourable », c’est-à-dire une personne qui, si elle n’a pas empêché les sévices, a au moins manifesté de l’affection, voire de l’amour, à l’enfant victime.
Le témoin lucide de l’âge adulte
Le témoin secourable devient un témoin éclairé ou lucide lorsqu’il fait preuve d’écoute neutre et empathique envers une victime devenue adulte. Pourquoi à l’âge adulte ? parce qu’un enfant a naturellement un besoin inné d’aimer ses parents, il n’est biologiquement pas prêt, jusqu’à un certain âge qui appartient à chacun, à les blâmer et à les rendre responsables de ce qu’il subit.
Le témoin lucide ou éclairé s’adresse donc à l’Enfant intérieur. Il aide la victime à reconnaître qu’elle a subi des maltraitances, qu’elle ne les méritait absolument pas, et qu’elle n’en était aucunement responsable. Il lui permet de se libérer des entraves de la souffrance, de briser les chaînes accusatrices et culpabilisantes, en désignant les vrais responsables de la maltraitance (généralement les parents, ou des proches immédiats).
Avec un témoin lucide, on peut à la fois se libérer :
- des souffrances refoulées de l’enfance (maltraitances, manque d’affection, de disponibilité, etc)
- de l’emprisonnement du vrai soi au profit du développement d’un faux soi (pour plaire aux parents)
Le témoin lucide est là pour aider la victime dans sa démarche d’acceptation : peu à peu, elle cesse de refouler sa souffrance, elle admet qu’elle est une victime, qu’elle a effectivement le droit de s’en affliger, de hurler sa douleur et de s’en révolter. Elle reconnaît aussi la responsabilité des « bourreaux » (le terme est d’Alice Miller) : les parents (ou toute autre personne du cercle familial ayant commis les maltraitances) ont délaissé leur rôle naturel de protection et d’affection pour se laisser empêtrer dans la violence envers l’enfant.
La douleur des victimes est reconnue, elle n’est plus niée : c’est un fait décisif qui va leur permettre d’enfin vivre leur vie, libérées du terrible fardeau des souffrances de leur enfance.
Qui peut être témoin lucide (ou éclairé) ?
Ainsi que le soulignait Marshall Rosenberg : « lorsque nous écoutons, nous n’avons besoin ni de connaissances en psychologie, ni de formation en psychothérapie. L’important, c’est de savoir être présent aux sentiments et aux besoins spécifiques que ressent un individu ici et maintenant ».
Comme pour le témoin secourable, n’importe quelle personne peut être un témoin lucide, avec néanmoins des conditions essentielles qui ne sont pas nécessaires au témoin secourable (qui lui doit « juste » être capable de faire preuve d’amour ou d’affection). Quelles sont ces conditions ?
- connaître et reconnaître toutes les formes de maltraitances faites aux enfants (oui, la privation d’affection, la privation d’attention, la négligence, sont des maltraitances)
- être conscient de leurs nombreuses et dramatiques conséquences
- ne pas être prisonnier des injonctions au silence et à la négation imposées depuis des siècles par la norme moralisatrice de la société, des religions, et bien souvent hélas aussi des familles
- être conscient que pardonner n’est pas une solution : pardonner un parent maltraitant, lui trouver des excuses, c’est minimiser, voire nier, la souffrance de l’enfant (on peut “comprendre” pourquoi/comment un parent devient violent mais on ne valide pas le choix du comportement violent)
- avoir soi-même résolu ses conflits intérieurs, s’être libéré de sa propre souffrance relative à l’enfance – un point crucial, selon Alice Miller. En effet, si le témoin lucide n’a pas fait cette expérience-là pour lui-même, par rapport à sa propre histoire, sa propre souffrance, il risque trop de transférer sa propre frustration sur la victime.
Ce dernier point nous amène à une question très importante : comment être sur.e que l’on a bien choisi son témoin lucide ?
Comment bien choisir son témoin/thérapeute ?
Si Alice Miller admettait que d’autres personnes pouvaient être témoin lucide, la rareté des individus ayant effectivement fait leur propre cheminement lui faisait penser qu’il était plus probable que le témoin lucide soit quand même un thérapeute, formé à la psychologie. Elle n’en soulignait pas moins les nombreuses lacunes des enseignements en la matière, regrettant notamment énormément l’accent mis sur la psychanalyse. Elle s’attacha beaucoup, dans les dernières années de sa vie, à mettre en garde les victimes dans leur choix de thérapeute – et donc de témoin lucide.
En effet, « tomber sur un thérapeute qui n’a pas fait son propre cheminement vers la libération, c’est hélas s’exposer à une perturbation plus ou moins sévère de votre propre processus, pouvant aller d’un « simple » ralentissement jusqu’à un blocage total, en passant par l’inhibition du patient. S’il cède à la peur, le patient peut aussi enfoncer un peu plus son vrai soi, et continuer à développer son faux soi pour plaire au thérapeute, répondre à ses attentes, comme le patient le faisait étant enfant avec ses propres parents ».
Si le fils d’Alice Miller, Martin, lui-même psychothérapeute, regrettait que cette notion de témoin lucide soit un idéal, Alice elle pensait que ce rôle était absolument essentiel :
Sans le témoin lucide, il est impossible de supporter la vérité de la prime enfance […] Pour moi, les témoins lucides sont […] des thérapeutes qui ont trouvé la force d’affronter leur propre histoire, de devenir ainsi autonomes et qui n’ont donc pas besoin de compenser leur impuissance refoulée par le pouvoir exercé sur leurs patients
citation extraite d’un article publié en ligne par Alice Miller, 1er janvier 2001
Comment choisir un bon thérapeute ?
Selon Alice Miller, il convenait de trouver des thérapeutes
- « assez respectueux pour répondre à vos questions
- assez libres pour montrer leur indignation sur les comportements de vos parents envers vous
- assez courageux pour vous accompagner avec empathie quand vous exprimez votre rage bloquée dans votre corps depuis des décennies
- assez bien informés pour ne pas faire des sermons sur « vous devez oublier », le pardon, la méditation et les « pensées positives »
- assez honnêtes pour ne pas vouloir vous endormir avec des mots vides comme « spiritualité » quand ils ont peur de votre histoire tragique »
Pour vous aider dans notre choix de thérapeute ou témoin, Alice Miller préconisait de poser les questions suivantes – il ne faut pas hésiter à les poser, quelle que soit la personne en face de vous : si vous vous engagez dans une confrontation avec votre enfance profonde, il est primordial que vous soyez en confiance. L’idée de la thérapie n’est pas de survivre, mais bien de vous libérer. Il ne s’agit donc pas de plaire au thérapeute (ou au témoin), mais qu’il vous accompagne dans la libération de vos souffrances, en pleine conscience, en étant totalement disponible pour vous (et donc pas englué dans ses propres souvenirs) :
- Pourquoi et comment êtes-vous devenu thérapeute ?
- Quels sont vos thérapeutes-auteurs de prédilection ?
- Vais-je conserver mon autonomie ?
- Me donnerez-vous de vraies informations ?
- Répondrez-vous sincèrement à mes interrogations ?
- Serez-vous apte à nouer avec moi « une relation de travail loyale et transparente » ?
- Allez-vous accepter les critiques ?
- Est-ce que vous me promettez des choses cohérentes, ou l’impossible ?
- Êtes-vous prêt à entendre des critiques, à être confronté à vos contradictions ?
Après la mort d’Alice Miller, la recherche en psychothérapie a continué d’étudier la relation entre le thérapeute et son patient. Toutefois, ces nouvelles recherches ont déformé la vision idéale d’Alice Miller, à la fois en ajoutant au rôle du thérapeute en tant que témoin lucide, et en lui ôtant des qualités précieuses au bien-être du patient. Le sujet reste encore tabou, parce qu’il reste difficile pour beaucoup d’admettre que les douleurs chroniques et bien des maladies trouvent leur origine dans les souffrances de la prime enfance – et ce, même si d’autres grands auteurs l’ont prouvé à travers leurs nombreux travaux de recherche, comme par exemple Arthur Janov.
Illustration par : @amphigary (instagram) / @amphigary (facebook) / amphigary@icloud.com
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4 réponses sur “Nous pouvons tous être des « témoins secourables » (notion d’Alice Miller)”