L’enfant et le temps

Confrontation de deux mondes : la temporalité des enfants face à la temporalité des adultes

Il y a dans la vie de l’enfant des stress majeurs, mais il y a aussi, à ne pas négliger, la multitude de petits stress qu’il croise dans sa journée. Et c’est là qu’il est primordial que les parents se souviennent qu’ils n’ont pas la même temporalité que leur enfant, ni les mêmes priorités : ils ne vivent tout simplement pas dans le même monde.

Lorsque l’on observe les étapes du développement du cerveau chez le jeune enfant, il apparaît que les enfants ne comprennent pas pourquoi il est si important pour l’adulte de se préparer vite le matin, de se coucher tôt le soir, de manger à telle heure, etc… De plus, demander au jeune enfant de se dépêcher, c’est le mettre en situation d’échec. Il ne peut pas, physiologiquement et psychiquement parlant, faire vite : faire vite, c’est une notion d’adultes. Cet échec va engendrer chez l’enfant frustration, tristesse, colère, peur de déplaire, ce qui mènera, à force de répétition, à installer et entretenir un climat d’insécurité affective.

On va l’aborder plus bas : l’enfant jusqu’à environ 6 ans n’a pas vraiment la notion du temps. Il vit dans l’instant présent : il aime prendre son temps, jouer, rêvasser, s’inventer des histoires. Il vit dans un monde imaginaire, son monde, où « devoir » et « se dépêcher » n’ont aucune signification, et n’ont pas de place. Il est de notre devoir de parent responsable de comprendre cela et de toujours le garder en mémoire, afin de limiter les conflits familiaux du quotidien, et de minimiser l’impact de notre propre stress sur nos enfants.

La temporalité et l’enfant

La temporalité regroupe tout ce qui concerne l’écoulement du temps. Une notion complexe pour le jeune enfant, à qui on  demande d’apprendre bien vite la différence entre le jour et la nuit, puis de savoir nommer les jours de la semaine, de quoi se compose une année, de lire l’heure, etc : en bref, tout ce qui fait ce que l’on appelle le « temps social », auquel on pense qu’il sera confronté toute sa vie.


L’Homme cherche constamment à avoir une emprise sur le temps social, mais le seul temps qui nous appartient vraiment est celui de nos émotions. C’est lui qui, en interaction avec le temps réel, c’est-à-dire ce que l’on vit, va permettre à l’enfant de se construire, et de s’y retrouver entre le temps organisé de la vie sociale et le temps personnel de ses affects et de ses expériences propres. Apprendre à conjuguer ses temps va permettre à l’individu de s’épanouir et de se développer. 

Bébé et la temporalité

L’enfant va apprendre peu à peu la temporalité. Avant d’y accéder, le bébé acquiert déjà une préconception de la durée des faits. In utero, le fœtus perçoit le rythme de vie de sa mère, à travers ses mouvements et les sons environnants. Puis il vit l’alternance soins/attente de soins, et l’alternance solitude/présence de l’être cher (souvent liée aux soins). Le bébé distingue alors peu à peu qu’il y a un temps pour lui (c’est le « temps pour soi » : le temps des soins) et un temps où il est livré à lui-même, où il peut à loisir découvrir le monde qui l’entoure (c’est le « temps à soi »). 

Quand tout se passe bien, le bébé acquiert très vite qu’il y a toujours un après, un changement dans les situations qu’il est amené à vivre. Il faut pour cela que l’écart entre les différentes périodes soit de durée raisonnable, tolérable pour le tout-petit, et ne mette pas en péril son bien-être. Alors, le bébé anticipe le retour de l’être tant attendu, il l’imagine. Il se trouve plongé dans une sécurité affective, qui sera mise à mal si la figure d’attachement tarde à se manifester et à répondre aux pleurs du bébé – qui signale ainsi que son attente a assez/trop duré. 

Instaurer un rythme régulier aide le tout-petit à se familiariser avec cette temporalité, à intégrer en lui que les évènement s’enchaînent, et l’aide à s’habituer aux délais. Casser le rythme, c’est introduire chez le tout-petit un sentiment d’insécurité et d’angoisse très dommageable pour son développement cérébral.

Il est bien entendu qu’un bébé ne bénéficiant pas de figure d’attachement ou de régularité des soins, aura le plus grand mal à acquérir les notions de temporalité. 

Mise en place de la temporalité à partir de 6/7 ans

Bien que certaines acquisitions se mettent en place très tôt, la temporalité linéaire est très longue à acquérir. Il n’est pas rare qu’un enfant âgé de 6/7 ans confonde encore « aujourd’hui », « hier » et « demain ». 

Jusqu’à un certain âge qui varie selon les individus, les enfants ont une vision plutôt circulaire du temps qui passe. Le jour succède à la nuit, puis revient, puis est à nouveau remplacé par la nuit, etc. L’année est rythmée par des évènements récurrents, que l’enfant attend, qui lui offrent des repères, et qui favorisent cette notion de circularité : l’environnement changeant (les feuilles qui tombent, la neige, les fruits qui murissent, la canicule, etc) ainsi que les fêtes culturelles (la rentrée scolaire, les anniversaires, noël, etc) … Le futur ne peut se voir alors que comme très proche (c’est pourquoi dire à un enfant de 3 ans que vous quittez le parc pour y revenir le samedi suivant ne lui parle absolument pas, et n’apaise en rien sa tristesse de partir).  

Peu à peu, au gré des expériences de vie, chacun va se forger une conscience et une idée plus précises du temps qui passe. Peu à peu, l’intégration mentale de la succession des évènements va elle aussi se mettre en place. 6/7 ans, c’est généralement l’âge où les enfants s’intéressent aux dinosaures, à la préhistoire, et comprennent peu à peu qu’il y a eu un avant nous, « il y a très très longtemps ». L’enfant intègre cela grâce aux signes du temps qui passe : le rythme des saisons, le corps qui change, le nombre de bougies qui augmente à chaque anniversaire, pour tout le monde – l’écart d’âge entre enfant et parent ne se réduit jamais.

C’est le bon moment pour leur proposer des frises chronologiques qui les aideront à se repérer visuellement dans le temps. La succession des événements se met en place, ainsi que le déroulement des événements : il y a toujours un début, un milieu et une fin. En lisant des histoires à vos enfants, des contes, des mythes, en leur montrant des films jusqu’à ce qu’apparaisse le mot « fin » sur l’écran, vous leur faciliterez la tâche de l’intégration de ces successions. 

L’enfant va aussi comprendre que la vie elle-même a un début et une fin, et se déroule de la naissance à la mort – c’est ce que l’on appelle la « flèche du temps ». 

La temporalité et les adultes

Dompter le temps qui passe est une chimère après laquelle courent beaucoup d’entre nous. On entend souvent maîtriser le temps, en le remplissant au maximum, et en en faisant ce que l’on veut. Cela passe par une surcharge d’activités, que l’on impose à nos enfants. Cela passe aussi par un stress permanent dû au besoin de tout faire vite. Dans les 2 cas, cela pose de gros problèmes pour l’enfant, dont les rythmes naturels ne sont en aucun cas respectés.

Oui, dans nos sociétés hyper-actives, la temporalité est mise à mal. Du temps qui n’est pas utilisé à faire quelque chose est forcément du temps perdu/gaspillé/gâché. On ne se laisse plus le temps, et, plus grave encore, on ne laisse plus non plus de liberté aux enfants, où ils peuvent décider eux-mêmes de ce qu’ils vont faire

En outre, la frontière entre « temps pour le travail » et « temps pour la famille » est bouleversée par les technologies portables et internet, qui imposent la vie professionnelle dans le foyer familial. C’est une façon de vivre qui existait déjà à la génération de nos (arrières) grands-parents. En étant sédentaire et en travaillant en présence des enfants à la ferme, par exemple, les enfants “gênaient” les parents vis à vis de leur efficacité au travail (le rendement). Et la plupart des familles, par négligence, en devenaient violentes avec leurs enfants. C’est un système que la société a tenté de modifier depuis deux générations, par la promesse d’une instruction pour les enfants et donc par la séparation subie. Ces deux solutions répondent uniquement à certains besoins des parents mais ne les comblent pas vraiment. De plus, aucune de ces deux solutions ne respectent tous les droits et besoins de l’enfant. Alors quelles stratégies pourrions-nous alors mettre en place afin combiner notre vie professionnelle et familiale, tout en respectant nos enfants ?

La famille perd son rôle sécurisant : l’enfant étouffe sous trop d’activités, manque à la fois de liberté et de temps avec ses parents, et tous les membres de la famille souffrent de ne pas avoir assez de temps propre, pour satisfaire leurs besoins personnels. Cette lacune dramatique empêche d’apprécier les moments passés ensemble, car chacun considère alors que c’est un vol sur le temps qui devrait être personnel.

Pour les parents qui travaillent à la maison, et pour ceux qui rentrent le soir avec encore des dossiers en cours plein la tête, il est impératif, pour le bien-être de leurs enfants et pour leur propre santé, de mettre de nouvelles stratégies en place (par exemple, pas de mail avant que les enfants dorment, pas d’écran le dimanche et les jours de fête, pas de rab exceptionnel si on est en retard, pas de RDV téléphonique en présence des enfants etc).

Geneviève Djénati parle d’une « société de l’urgence ».

Le tempo imposé par les adultes est trop rapide pour l’enfant, qui souffre à la fois du rythme trop dur pour lui, et de l’absence de prise en compte de ses propres besoins, notamment les besoins de  sommeil, de temps calme, et de temps à soi.

Conscients ou non de la part des parents, ces problèmes ont de graves conséquences chez les enfants, qui peuvent conduire à des troubles de la temporalité (l’enfant perd ou n’acquiert pas une notion réelle du rythme du temps qui passe), des états dépressifs, et aller jusqu’à la perte du sens de la vie.

D’autre part, le lent travail de maturation de l’enfance ne peut se faire, sa construction psychique est gravement endommagée – en ce sens, il s’agit donc d’une violence.


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